Silence is the most powerful scream ; Le silence règne dans la pièce. Ambiance lourde. Poids invisible sur les épaules. Les bagages trônent sur le pas de la porte. Spectres de cuir bas de gamme qui ne présagent rien de bon. Elle est là, la perfide. Debout de toute sa trahison, la tête basse mais le regard perlé d'étoiles. Les promesses de cet ailleurs qui lui ourlent l'esprit de rêves bidons. Bétons. Bitume. La ville, loin d'ici. La voici. La voilà qui ouvre la bouche. Laisse s'échapper sa voix de fourbe. « Tu pourrais venir avec moi, mon frère. Viens » Sa main se tend et s'ouvre comme une fleur gorgée d'espoir entre les deux silhouettes qui se regardent comme deux chiens de faïence. Sa langue se délit subitement, lui lâche toutes les promesses que le voyage à la Grande Ville pourrait leur réserver s'ils quittent leur trou perdu, leur terrier. « Viens avec moi, Nashoba » A chacun de ses mots de parjure, Nashoba sent son coeur se fissurer, l'ombre de l'abandon venant se poser sur sa cage thoracique pour la scier. La comprimer. Plus d'air. Dans un silence enrobé de son linceul, le jeune homme referme la paume de l'hypocrite et l'entraîne vers la sortie avec douceur. La douceur d'une dernière fois. « Mon frère ? » Ses lèvres se déposent sur son front. Un adieu. Un au revoir. Une déchirure dans un dernier contact de tendresse. « Si c'ton choix, que t'en es convaincue. Va. Pars en paix. Ton frère t'le dit mais une fois que t'auras passé l'arbre penché, que t'auras quitté nos terres, tu n'as plus d'frère et tu n'es plus l'bienvenue ici. Maint'nant, fais c'que tu as à faire » Un hochement de tête et Nashoba tourne les talons, s'engouffre dans la maison de bois sans se retourner, sans un mot de plus. Le coeur est lourd. Le coeur se perce. Son regard reste soudé à la fenêtre, regardant la déloyale s'éloigner, les bagages du passé aux mains. La décision a été prise. Le trait a été tiré. Un coup de typex et c'est fini. « Où est Magena ? » « Pii, j'suis ton unique enfant désormais. Magena a été reniée » Le chef de meute a parlé et c'est ainsi. Point barre. Point final. La mère l'entend mais n'y émet aucune objection, les épaules s'affaissant sous la lourdeur de la tristesse. Pas le choix de toute façon, pas le choix. Elle connaît son fils. Quand une décision est prise, rien ne lui fait changer d'avis. Nashoba. Son fils. Son loup. Peut-être aurait-elle dû lui donner un autre prénom ? Lui offrir un autre destin en lui donnant un tout autre blaze. Peut-être que oui, peut-être que non.

Le silence dans la maison règne jusqu'à être déchiré par ce bruit de fond. Ce bruit en latence qui fêle la nuit calme. Sa mère qui se tord de douleur en se vidant les entrailles dans les chiottes. Ce bruit horrible laissant un goût d'impuissance, d'inutilité dans la gorge de Nash. Le jeune homme est debout, le corps planté contre le chambranle de la porte de la salle de bain, attendant. Attendant. La porte reste close, inlassablement. Les sons qui la traversent l'inquiètent mais il ne bouge pas d'un poil. Ordre de la reine mère. Celle qui a encore une certaine autorité en ces lieux sur lui. La porte s'ouvre enfin, laissant se profiler la silhouette amaigrie de sa mère. Sans un mot, elle lui fait comprendre d'un regard d'aller se recoucher, de ne pas faire attention aux caprices de sa santé mais rien n'y fait. Le chef de meute reprend son autorité, reprend ses droits. Ses bras vont se nouer autour du corps de la mère louve et la soulève doucement du sol pour la ramener dans son lit parce que c'est son rôle ; veiller sur les siens. Il la recouchera avec toute la tendresse qu'il ressent dans ses gestes et veillera sur la reine mère en somnolant à ses côtés, la seule et même demande pour l'Univers qui tourne en boucle dans sa tête : Pitié, laissez-la moi encore longtemps. Laissez-la moi. Laissez-la moi. Ne me la reprenez pas. Pas encore

Nash, public de ce spectacle de l'horreur. Le corps crispé par la douleur, les gémissements de souffrance qui s'échappent de sa gorge et dans les iris de sa mère, un mélange funeste : la peur, la douleur, la mort. L'Univers ne l'a pas entendu, les Anciens n'y peuvent rien. Rien n'y fait contre la maladie qui ronge et ronge. Cancer. Saloperie. Même la force de la nature dans les décoctions qu'il lui prépare n'arrivent plus à lui apporter un semblant de paix. L'ultime demande tombe d'une voix faiblarde, les syllabes tremblantes. Le poignard en plein cœur « Libère-moi » Ces deux mots qu'il ne voulait pas entendre. Ces deux mots dont il refusait l'existence. Nash, il s'entête les jours qui suivent, tentent de raisonner la condamnée à mort mais rien n'y fait et il le sait. Quand la mère louve décide, il n'y a pas d'autre option. Ce qu'elle décide est déjà ancré dans l'avenir. Il tient ça d'elle. « Pii, j'te libèrerai » Une promesse du bout des lèvres, à contre coeur. Une promesse qui le fêle, le troue de toute part. L'amour. Oh l'amour peut être tellement douloureux. Aimer à retenir. Aimer à laisser partir. Aimer à respecter le choix de l'autre. Bordel sans nom. Le cœur fissuré, implosé, l'homme à l'âme écorchée part à la conquête de ses racines et feuilles qui lui enlèveront sa mère mais qui la libèrera enfin de sa couronne d'épine. La paix et le repos pour des années de tristesse d'un deuil sans fin. Euthanasie par amour. Euthanasie du désespoir. Meurtre consenti. La fin d'une existence. La leur.

Ses pas soulèvent les feuilles mortes autour de lui. Ses muscles se tendent, se fatiguent mais Nash garde le rythme effréné de sa course contre la vie, contre lui, contre la mort. Une perfusion de douleur reste accrochée à ses poignets. Impossible de l'arracher. Impossible de l'échanger contre de la morphine. Comment soigner les blessures de l'âme ? Comment ? Son souffle se raccourcit mais rien à foutre. Cours, cours, cours. Le bout de la falaise apparaît comme un salut. Le vent courroucé contre son corps, un frein comme pour l'empêcher de continuer. Rien à foutre. Rien à foutre. Le vide, bientôt, il l'attend, son corps prêt à s'y laisser planer. Sans une once d'hésitation, sans le moindre arrêt, son corps s'élance de la falaise, se laissant retomber dans le cours d'eau de la rivière en colère plus bas. Le corps s'enterre dans l'eau tumultueuse, se laisse maltraiter dans les courants puissants. Les bulles d'air l'encerclent, ses poumons se creusent mais rien à foutre, rien à foutre. Libérez-moi. Libérez-moi. Un rocher qui rencontre son corps et le noir complet. Est-ce la fin ? La fin ressemble vachement à la vie. Peut-être n'était-ce pas la fin... Pas maintenant.

Ses yeux s'ouvrent. Naufrage en bord de rive. Des bleus et le front ouvert. Rien de plus. Rien de moins. Il est vivant. Nash se relève avec peine, laissant la gravité le renouer sur la terre ferme. Les os se craquent. Bruit sourd. Bien. Puisque l'Univers et les Anciens en ont décidé ainsi. Soit. Il continuera. Il vivra. Lui. Un cri sort de sa gorge, porté par le vent. D'abord désespoir. Rage. Cri de guerre. Puis détermination enfin. Il vivra, ouais, mais comme il l'entend. Ca, ce n'est pas négociable, Univers et Anciens. Faites avec. Ca, c'est le deal. Un point c'est tout.