deux mille sept. « ma mère dit qu'on est trop grand pour dormir ensemble. » tu ne bouges pas. le souffle chaud de ton meilleur ami près de toi. quatorze petites années que vous partagez. tu ne trouves rien à répondre. ton père aussi, il dit que c'est des conneries. que les vrais hommes n'agissent pas comme ça. ça te fait rire. qu'est-ce qu'il en sait, lui, au fond ? il a bien foutu ton frère et ta sœur dehors. et tu te sers de cette excuse. de ce prétexte. ta mère qui passe la plupart de tes demandes. tu en profites. un peu. au fond, tu aimerais que ce soit différent.
« on s'en fout de ce qu'ils disent. » tu grognes simplement, enfouissant simplement ton visage dans les draps, respirant l'odeur de la lessive qui les imprègnent encore.
« et si moi, je m'en fou pas ? » tu te redresses un peu, la lune éclaire faiblement la chambre - tu dors les volets ouverts depuis presque toujours - et te permet de distinguer sa silhouette. tu n'as pas le temps de parler qu'il chuchote de nouveau.
« je veux dire ... tu vas me prendre pour un fou. » tu comprends pas. tu vois pas ou il veut en venir. pourquoi ou comment.
« comme si c'était mon genre. » tu réponds simplement. t'as jamais été trop doué pour parler d'une quelconque manière.
« parle, bon dieu. » tu râles. t'es pas patient. tu l'as jamais été. ça va pas commencer aujourd'hui.
« parfois, je me dis que ça finira par déraper entre nous ... » tu te redresses, tournant la tête vers lui, cherchant son regard malgré l'obscurité. t'es vraiment perdu. t'as beau le connaître depuis que vous êtes gosses t'arrives pas à le cerner aujourd'hui.
« j'ai envie de t'embrasser parfois. et de te toucher. » t'es incapable de répondre. de bouger. ta gorge sèche. tu sens ses yeux sur toi. son regard brûlant sur ton visage. et tu réponds sans même réfléchir.
« alors fais le. » comme ça. sans penser aux conséquences. sans penser a ce que ça peut engendrer. tu sens à peine ton matelas s'affaisser quand il grimpe à tes côtés et c'est seulement ses lèvres effleurant avec hésitation les tiennes qui te ramènent a la réalité. tu restes silencieux un moment, écoutant à peine le bruit du vent qui frappe contre la fenêtre. tu te penches vers lui. collant ta bouche contre la sienne. le premier baiser que tu offres à un homme. tu fermes les yeux, ta main sur sa nuque, vos lèvres scellées. et ça te semble différent. tellement différent de toutes les filles que tu as déjà pu embrasser. c'est ton meilleur ami bon dieu, tu ne devrais pas trouver cette situation normale et encore moins
excitante. tu reprends doucement ton souffle, ton front contre le siens, tes yeux fermés. ton corps te semble brûlant. tu ne parles pas. lui non plus. au risque de vous rendre compte. d'être conscient de ce que vous êtes en train de faire. le pas que vous franchissez. le gouffre dans lequel vous tombez. le temps semble infini, alors qu'il reprend délicatement possession de tes lèvres, durant de longues minutes, dans la nuit silencieuse, vos baisers se terminant par des sourires complices, des caresses timides et des gémissements étouffés.
≈ ≈ ≈
deux mille onze. tu te réveilles, ton visage enfouit dans des draps qui ne sont pas les tiens. tu te tournes un peu, rencontrant un corps chaud contre le tien. une main ère dans ton dos.
« hey. » tu tournes la tête vers adrian. tu te pinces les lèvres, avant de souffler doucement.
« salut... » tu bouges pas. ton corps étendu sur le lit. tu sais parfaitement ce qu'il s'est passé. t'étais pas bourré. lui non plus. vous étiez tout les deux consentants. tout les deux conscients de vos faits et gestes.
« ça va ? » c'est étrange. comme situation. pour vous, de vous retrouver comme ça, de cette manière là.
« j'ai les cuisses qui collent. » tu ris doucement, passant une main dans tes cheveux. parce que tu trouves rien d'autre de mieux à faire.
« faut qu'on parle 'dan. » tu murmures, avant de te redresser, laissant le drap glisser le long de ton torse.
« de quoi ? » « de tout. de nous. d'hier. de ce qu'on a fait y'a deux ans en étant bourrés, de ce qu'on a fait quand on avait quatorze piges ! » sans doute que tu t'emportes un peu. mais ça tourne dans ton crâne. ça t'as empêché de dormir. mais t'as pas bougé. tu l'as regardé dormir paisiblement et ça a suffi à te reposer. tu le vois soupirer.
« arrête de tout rendre compliqué jasp. on s'est touchés mutuellement quand on avait quatorze piges. on a couchés ensembles y'a deux ans alors qu'on était déchirés et hier, on a couchés ensemble en étant, tout les deux, parfaitement consentant. on a fait ça parce qu'on en a envie tous les deux. depuis longtemps. c'est tout. » il a raison. tu fermes les yeux un moment, passant une main sur ton visage. ça a l'air tellement simple quand c'est lui qui le dit. ça semble tellement facile.
« je suis plus certain de ce que je ressens. » tu murmures doucement.
« pourquoi c'est tellement compliqué ? » ça fait plusieurs années que t'es perdu. que t'arrives pas à savoir. que t'aimes un peu trop quand adrian se retrouve plié de rire contre toi et que tu dois le soutenir. t'aimes un peu trop sentir son souffle se répercuter contre ta peau.
« c'est pas compliqué jasper. c'est toi qui es compliqué. » perdu dans tes pensées tu l'as pas senti se rapproche de toi. et ce ne sont que ses lèvres contre les tiennes, délicatement, qui te ramènent sur terre. sa main se glisse dans ta nuque et tu réponds inconsciemment à son baiser. tendre. doux. tu soupires contre ses lèvres. de bien-être.
« c'est pas plus compliqué que ça. » il souffle de nouveau. et tu veux le croire. désespérément.
≈ ≈ ≈
deux mille treize. tu fais les cent pas dans la chambre d'adrian, les lèvres pincées.
« calme toi jasp' ... » tu soupires. il a raison.
« une meuf. il veut que je ramène une meuf. putain ! » ta main passe dans tes cheveux. nerveusement. un énième soupir passe tes lèvres et la main d'adrian attrape ton bras, t'attirant d'autorité contre lui. tu viens nicher ton visage dans le creux de son cou, inspirant son parfum à pleins poumons.
« je sais pas quoi faire. je peux pas. p'tain ... » sa main vient doucement caresser ton dos, et tu viens t'asseoir sur ses genoux, déposant un baiser sur ses lèvres. rapide. furtif. une légère pression, un sourire sur le coin de ses lèvres. tu souris aussi. comme un con. tu sens ses mains glisser sous ton haut et tu te penches pour l'embrasser de nouveau, simplement, la porte de la chambre s'ouvre et tu t'éloignes précipitamment, soupirant de soulagement en découvrant le visage de sa sœur.
« tu peux pas toquer comme tous le monde ?! » tu lèves les yeux au ciel, posant ta main sur son avant-bras et ton front contre son épaule. elle est au courant sa sœur. elle vous a déjà surpris alors que t'avais sa langue dans ta bouche et c'était assez compliqué à justifier comme situation. mais elle est de votre côté. ça te rassure, au fond.
« ça a pas l'air d'aller jasp' » tu ne réponds pas. t'as pas envie de répondre.
« son père l'fait chier pour qu'il ramène une meuf. sauf que bah ... voilà quoi. » tu viens passer tes bras autour de son torse, l'attirant contre toi. t'as besoin d'un câlin. tu te sens complètement gamin dans ta tête, mais cette discussion avec ton père t'as juste donné envie de tout foutre en l'air et de lui gueuler que t'es gay et qu'il allait devoir faire avec, mais t'as pas les couilles de le faire.
« j'peux m'faire passer pour ta copine. » tu relèves un peu la tête, riant nerveusement.
« arête, c'est ridicule, t'vas pas te faire passer pour ma meuf alors que tu sais très bien que j'suis pas hétéro. » tu soupires.
« je le sais justement. j'me ferais pas de faux espoirs. j'suis célibataire de toute façon, puis honnêtement y'a pire que toi comme faux mec. puis les parents pourront me lâcher un peu aussi. » c'est pas con. tu le sais. t'as envie de plier. mais tu sais pas. ça se saura un jour ou l'autre. et tu sais que tu seras jamais aussi proche d'elle que tu ne le devrais. tu fermes les yeux, ton front dans la nuque d'adrian.
≈ ≈ ≈
deux mille dix-sept. « jasper, bouge ton cul ! » tu grognes. passant une main sur ton visage, ton corps encore enfoui dans tes draps. tu soupires. tu sais que si tu te bouges pas maintenant ton père va monter. et t'as clairement pas envie qu'il monte. alors tu te lèves. parfois tu te demandes ce que tu fous encore chez tes parents à vingt-quatre ans passés, mais t'as pas vraiment le choix au fond. faut que tu restes à la ferme. c'est comme ça. la voix de ton père résonne une nouvelle fois dans la maison.
« j'arrive ! » tu laisses ton corps retomber un instant sur ton lit, le visage fixé sur le plafond. t'as pas dormi. deux heures tout au plus. comme d'habitude. un soupir sur tes lèvres, tu termines par te motiver et par t'habiller en quelques minutes seulement. tu dévales l'escalier rapidement, les marches en bois grinçant sous ton poids, tu entends du bruit venant du salon et tu te diriges vers la pièce, enlaçant ta mère pour la saluer, déposant un baiser sur sa joue. ton père est assit sur une chaise, observant la télévision de loin. tu plisses un peu les yeux, écoutant les mots débités par le présentateur. mariage homosexuel. tu te fais discret, mais ton père t'a entendu. évidemment.
« je ne vois pas pourquoi cette bande de tarlouzes veut pouvoir se marier. ils ne devraient même pas être autorisés à parler. qu'est-ce que tu en penses, fils ? » tu hausses les épaules. tu te mords la joue. t'essayes de garder une posture totalement décontractée, adossé contre la porte. s'il savait. sans doute qu'il te foutrait à la porte toi aussi. tu t'empêches de rire nerveusement.
« ouai. j'en sais rien. ils font ce qu'ils veulent de leurs culs, si leurs trucs, c'est de se prendre des bites, tant mieux pour eux, qu'est ce que tu veux que j'dise ? » tu lâches un peu trop froidement. sans doute. il ne semble pas le remarquer. tant mieux. la main de ta mère se pose sur ton épaule. et tu te détends automatiquement. elle sait que les relations avec ton père sont tendues. que t'as de plus en plus de mal à subir ce job, cette vie. et au fond t'es persuadé qu'elle sait. que son fils est pas totalement hétéro. tu sais pas pourquoi. elle doit avoir un instinct comme ça. parce que son toucher t'apaise aussitôt et son sourire te rassure.
« je dois aller à ralston aujourd'hui. tu veux venir ? » « nah. » ça a le mérite d'être clair. t'as pas envie de te taper trente bornes jusqu'à la campagne voisine pour porter des cagettes de légumes. merci bien.
« j'ai un truc de prévu cette aprem. en ville. » avec mon mec. mais t'es loin de t'en douter. vieux con. tu rajoutes. pour l'informer quand même que tu seras pas la quand il rentrera. sans doute. il ne te dit rien. rien de particulier. et ça t'étonne un peu. mais tu la fermes. pour une fois.