Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu'au jour où être fort reste
ta seule option.

Il fut un temps où le dimanche était la journée familiale des Lawson, barbecue dans le jardin de la maison parentale, déjeuner au restaurant ou même pique-nique dans le parc. Mais depuis bientôt dix ans, le dimanche était devenu le souvenir d’une séparation douloureuse et inattendue, une séparation qui avait fait basculer la vie de tous les membres de cette famille nombreuse et soudée. Et puis depuis quelques mois, le dimanche était devenue la pire journée de la semaine pour Hayden. Depuis qu’elle avait appris le cancer de son père, la jeune institutrice redoutait le week-end. Seuls jours de la semaine où elle ne travaillait pas et donc où son esprit n’était pas occupé à prendre soin des enfants. Le samedi, elle le passait à l’hôpital avec son père, mais le dimanche.. Le dimanche, elle laissait tout simplement ses pensées vagabonder et son esprit s’assombrir.

Hayden gara sa voiture dans la cour du ranch de son père et inspira longuement avant de fermer les yeux et de poser sa tête contre l’appuie-tête de la voiture. Trop occupée à serrer les dents pour ne pas fondre en larmes, elle ne fit pas attention et ne vit pas la voiture de son frère Dante, garée un peu plus loin près de la grange. Sur le seuil, elle hésita un moment et fini par sortir le double des clés. Inutile de frapper, personne ne viendra lui ouvrir. Ses clés ne lui servirent à rien puisque la porte n’était pas verrouillée. Elle jeta alors un coup d’œil derrière elle mais ne vit pas la voiture de son frère dans l’angle mort de la grange. Elle entra alors dans la maison de son père et attrapa la lampe posée sur le meuble de l’entrée. « Y a quelqu’un ? » Elle plaqua alors sa main sur sa bouche et écarquilla les yeux. La peureuse en elle se réveilla et déclencha le signal d’alarme, s’il y avait bel et bien quelqu’un dans la maison alors cette personne était au courant de sa présence désormais. Elle avança à tâtons, la lampe levée à hauteur de sa tête, prête à frapper lorsque Dante vint à sa rencontre. Elle poussa un cri et sentit ses jambes tremblées sous son corps. « Dante ! Tu m’as fait peur, pourquoi tu n’as pas répondu quand j’ai demandé s’il y avait quelqu’un ? » La blonde fit alors une moue expressive et fronça les sourcils en signe de mécontentement.

Ce ranch, cet endroit dans lequel il a continué sa vie, bien plus sereinement. Son renouveau. L’éloignement de sa vie d’antan, bien plus catastrophique. Dante y repense souvent ces derniers temps, surtout depuis que la maladie de son père de cœur a fait surface. Un cancer qui risque de l’emporter sur l’envie de Desmond. Celle de vivre. Pour lui, pour son ex-femme qu’il aime toujours, pour ses enfants, pour Dante, aussi, qu’il a pris sous son aile. Il a fait tellement pour lui que c’est difficile de penser qu’il pourrait ne plus être là demain. S’il venait à le perdre, ce serait sa fin. Desmond, il a su l’apaiser lorsqu’il avait envie de tout casser. Il a été le premier homme à pouvoir poser une main sur sa peau, quand il rejetait toutes les autres poignées de main, même les effleurements de certaines personnes. Il lui a donné une nouvelle vie dans cette ville qui n’est pas la sienne, a fait en sorte qu’on l’accepte rapidement. Il lui a donné une nouvelle famille. Dante a perdu trop de monde pour accepter la perte de cet homme pour qui il a énormément d’estime.

Perdu dans ses pensées, il n’entend pas la porte s’ouvrir. Ses doigts caressent le cadre d’une photo où il a sa place dessus, auprès des Lawson et il n’y a pas qu’une photo de famille, mais aussi une autre à l’entrée de son bar, pour l’ouverture. Celle de Gillian a cependant disparu, pas pour le blesser, mais justement pour l’épargner. Lorsque l’alarme retentit, Dante sort de ses songes, pose le cadre sur la table et se relève aussitôt. Il attrape le tisonnier, s’approche de la porte, les sourcils froncés, l’air méfiant et son cœur reprend un rythme plus régulier, normal, lorsqu’il croise le chemin de sa frangine. « Parce que je ne t’ai pas entendu. Ca te prend souvent de tirer la sonnette d’alarme ? » demande-t-il, en tapant le code afin de faire taire ce bruit incessant. « Qu’est-ce que tu fais ici à une heure pareille ? » Sa montre indique vingt-deux heures. La nuit est tombée depuis un bon moment déjà. « Ca va pas, toi. » Ce n’est pas une question, mais un constat. Il a uniquement besoin de croiser son regard pour savoir que sa sœur ne se porte pas bien. Il ferme la porte, puis l’attire contre lui et passe ses bras autour de ses épaules, tandis qu’il se dirige avec elle dans le séjour. « Tu veux un verre ? » Lui, il ne s’est pas gêné, il a sorti un verre et du Whisky. Il sort un autre verre du bar, sans attendre la réponse, le pose sur la table, restant dans l’attente de son choix de boisson. L’alcool, son plus grand ami de ces quatre dernières années.

Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu'au jour où être fort reste
ta seule option.

La moue d’Hayden disparaît soudain et elle tend l’oreille en fronçant les sourcils. Elle était tellement absorbée dans ses pensées et surtout terrorisée à l’idée de se retrouver nez à nez avec un cambrioleur qu’elle n’avait même pas remarqué que l’alarme s’était déclenchée. Son subconscient avait néanmoins du s’en rendre compte puisque sans même y faire attention, elle avait haussé la voix pour s’adresser à son frère. « Oh mince, l’alarme ! » dit-elle, en suivant son frère jusqu’au boîtier accroché au mur. Bien qu’Hayden soit une personne minutieuse, ayant le sens de l’organisation, une chose obligatoire pour être institutrice, il lui arrivait de se laisser submerger et dans ses moments-là, elle ne faisait plus vraiment attention à ce qu’elle faisait. Elle espérait au moins que la police ne débarquerait pas à cause d’elle. Imitant Dante, elle consulta sa montre, elle ne pensait pas qu’il était si tard. Les jours commençaient à rallonger et elle avait du passer plus de temps que prévu dans sa voiture devant le ranch puisque la nuit était tombé sans qu’elle ne le réalise vraiment. Prenant un semblant d’air détaché, elle déclara « Je venais.. Enfin je suis là pour arroser les plantes de papa. » La vérité était tout autre, elle venait s’isoler, pleurer, se ressourcer, tout remettre en question comme souvent le dimanche. La réponse de son frère lui montra une fois encore qu’elle n’avait aucun talent pour le mensonge et surtout qu’elle était, pour lui, une livre ouvert. C’était dingue cette relation qu’ils avaient, ils ne partageaient pas le même sang et pourtant c’était tout comme. Ils n’étaient pas de vrais frères et sœurs et pourtant ils lisaient l’un dans l’autre comme s’ils avaient été élevés ensemble depuis leur plus jeune âge. Alors elle baissa les yeux et haussa les épaules tandis qu’il l’attirait vers elle, elle en profita alors pour poser sa tête sur son épaule. Sa gorge serrée pour retenir ses larmes lui faisait si mal qu’elle ne parvient pas à dire un mot, elle se contenta d’hocher la tête en s’appuyant contre le bar de son père. « Donnes-moi quelque chose de fort s’il te plaît, de très fort. » Elle avait dit cette dernière phrase les yeux dans le vide et la voix un peu éteinte. Son frère la connaissait assez pour savoir qu’elle ne tenait pas vraiment l’alcool mais ce soir, elle en avait besoin. Elle espérait qu’il le verrait. Avant même qu’il n’ait le temps de répliquer, elle tenta de le convaincre en souriant et demanda « Mais toi, qu’est-ce que tu fais là à cette heure ? Tu n’as pas autre chose de mieux à faire que de venir piquer le Whisky de papa ? » Elle retira sa veste et déposa son sac près d’elle, elle ne repartirait pas tout de suite, elle le savait. Ce soir, elle avait besoin de la présence de son frère et de tout l’amour qu’il était capable de lui donner. Et puis ses nerfs lâchèrent et elle commença à rire. « Tu comptais vraiment te défendre avec ce tisonnier ? » Elle se calma un peu. « Excuses-moi, je suis fatiguée. »