Est-ce que je lui en veux ? Cette question me revient sans cesse à l’esprit, et je ne sais absolument pas quoi en penser. Oui, je lui en veux, d’un côté. Il sait à quel point je tiens à Shaw, et il aurait au moins pu avoir la décence de ne pas la toucher. Mais après, il ne l’a pas forcée à quoi que ce soit et ils ne me doivent rien, tous les deux. C’était leur choix. Toujours est-il que ça me fait bizarre. Je me souviens de la Shaw qui a quitté Cody il y a tant d’années, et j’ai du mal à me faire à la fille de la ville qu’elle est devenue. Je ne la comprends plus comme je la comprenais avant, il y a un gros écart entre sa façon de penser et la mienne. J’ai dû mettre les pieds en ville pendant… un week-end, tout au plus. Je n’y connais rien, à tout ça. Les conventions, les habitudes, les comportements à adopter… Non, décidément, je n’en ai pas la moindre idée.

Je retiens un soupir, et la dame que j’emmène en montagne me tire de mes pensées en prenant la parole. Une touriste New Yorkaise, justement. Je me retourne vers elle, un sourire avenant aux lèvres, en l’écoutant parler. Elle est surprise par le calme qui règne par ici, et ça me fait hocher la tête, gentiment. « C’est sûr que ça change de New York », je lui réponds dans un rire. Lorsqu’elle m’annonce vouloir rester ici le plus longtemps possible, je souris doucement. « Notre balade touche à sa fin, pourtant. Mais vous serez toujours la bienvenue ici, alors revenez quand vous voulez. » D’après ce que j’ai compris, elle rentre à New York demain et ça semble beaucoup l’attrister. Je comprends sans comprendre. Je ne sais pas ce que ça fait de retrouver une grande ville, mais je sais que je ne souhaiterais vivre ça pour rien au monde. Jamais de la vie.

Une fois rentrés au ranch, j’attache les chevaux et raccompagne ma cliente au bureau pour régler ce qui reste à régler, puis lui souhaite un excellent retour. La pauvre. Je m’enfonce dans ma chaise et soupire longuement. Noah ne devrait pas tarder à arriver, et je n’ai pas la moindre idée de ce que je pourrais bien lui dire. J’enlève mon chapeau pour passer ma main dans mes cheveux, lentement, avant de le remettre et de me lever pour aller desseller les chevaux. Je prie pour qu’aucun autre touriste se pointe, parce que je compte bien remettre les choses au clair avec mon frère une bonne fois pour toute et je n’ai pas la moindre envie de devoir remettre ça à plus tard.

Alors que je m’attaque au deuxième cheval, la voix de mon frère retentit. Tout en balançant la selle du cheval sur la poutre en bois à laquelle ils sont attachés, je lance, en évitant tout comme Noah le sujet principal : « Ouais, j’ai emmené une New Yorkaise là-haut. Elle repart demain, je pense que ça lui a fait du bien. » Je me penche vers le cheval pour inspecter ses jambes, afin de détecter des éventuelles blessures. Je cherche mes mots, mais aucune phrase correcte ne me vient à l’esprit. Je ne sais pas quoi lui dire. Heureusement, Noah prend la parole en premier, ce qui me rassure un peu. Si ça va depuis tout à l’heure ? « Bien sûr que ça va ! Pourquoi ça n’irait pas ? » je lui réponds dans un sourire forcé. Je suis insupportable, je m’en rends bien compte. La situation me rend plus maladroit que d’habitude, mais il va quand même falloir faire un effort. Parce que Noah en fait aussi, je le vois bien. Il finit par rentrer dans le vif du sujet en s’excusant, et pour la première fois depuis qu’il est là, je m’arrête de m’occuper des chevaux et me concentre sur lui, posant un bras sur le dos de Spike. « Oui, j’y tiens, Noah. J’y tiens même plus que ce que tu crois. Mais elle ne me doit rien, et tu ne me dois rien non plus. » je lui réponds sérieusement, caressant nonchalamment mon cheval. Noah continue à se justifier, et je vois bien que ça l’emmerde. Comment je pourrais lui en vouloir ? Il m’a tout avoué, ouvertement, et tout le monde ne l’aurait pas fait. « Merci de me l’avoir dit, vraiment », je réponds doucement. « Je sais juste pas quoi en penser, en fait. Parce que ça m’a énervé, sur le moment même. Mais en y réfléchissant, vous n’avez rien fait de mal. Ni toi, ni elle. Tout ce que je veux, c’est que tu sois heureux. Bon, t’aurais pu être heureux avec quelqu’un d’autre quand même… » Je m’interromps, un sourire sincère collé aux lèvres, avant de poursuivre : « Mais si c’est Shaw que tu veux et que c’est pareil pour elle, allez-y, je ne vous retiendrai pas. » Oh, je sais bien que ce n’est pas ça que recherche Noah. Les relations sérieuses, c’est pas son truc, tout comme c’est pas mon truc. Mais j’ai simplement envie de voir sa réaction. Pour voir s’il n’y a pas réellement quelque chose derrière tout ça. « Tu m’aides à lâcher les chevaux ? » j’ajoute, détachant Spike pour l’emmener en prairie.