Eleonora était assise sur le divan, les genoux recroquevillés sous le menton, les bras agrippés à ses jambes. Elle avait demandé à la psychologue de baisser un peu la luminosité de la lumière, plus il faisait sombre et plus elle se sentait à l’aise, cacher, à l’abri de tout. Sentant sa patiente tendue et sur le point de prendre ses jambes à son cou, elle déclara doucement « Bonjour Eleonora, et si vous commenciez par vous présenter. Vous pouvez vous allonger si vous le souhaitez ou vous asseoir dos à moi si c’est plus facile pour vous. » Mais Eleonora ne bougea pas. « Je m’appelle Eleonora Calvano, je suis née le 11 octobre 1990 à Verona, en Italie. » Elle fit une pause, peut-être que son interlocutrice en attendait plus mais c’est tout ce qu’elle pouvait dire de sûr à son sujet.  « Bien, pourriez-vous me parler de votre famille, de votre enfance avant votre.. accident ? » Eleonora inspira bruyamment et garda le silence pendant au moins sept ou huit minutes. Pendant un moment, elle crut qu’elle n’allait pas répondre, en réalité, son subconscient tentait de se rappeler le plus de choses possibles sur sa famille, ce qu’elle essayait déjà de faire depuis des années en fait. « Je ne me souviens plus de grand chose vous savez, j’essaye de me rappeler mais ça reste flou. J’ai une sœur, enfin je crois. Et mes parents étaient gentils, sur ça non plus je ne suis pas sûre. Je ne parviens pas à voir leur visage, je ne vois que des formes floues, indistinctes. J’ai oublié ma propre famille, j’essaye de les imaginer mais je n’y arrive pas. En réalité, je crois être née à Vérone, j’en suis presque sûre mais au fond je doute mais ce nom est tellement ancré dans ma mémoire. Peut-être que c’est moi qui l’ait mis là si ça se trouve. » Désormais, la brune a les yeux dans le vide. Ce qu’elle dit à cette femme qu’elle ne connaît pas sont les mots qu’elle se dit chaque soir dans sa tête quand elle tente de comprendre l’immense fouillis qu’est sa vie. L’inconnue en face d’elle prend des notes, Eleonora n’aime pas ça, elle se sent observée, jugée. « Et ce jour-là, le jour où vous avez disparu, de quoi vous souvenez vous ? » Leo ferma les yeux si fort que sa tête se mit à tourner. « Je me souviens de tout, du temps qu’il faisait, des bruits autour de moi, de sa main sur ma bouche qui m’empêchait de crier, de la camionnette dans laquelle il m’a poussé. » Elle fit une pause, sa gorge se serrait petit à petit, devenait de plus en plus douloureuse. « Je me souviens avoir ressenti une sorte de pic au niveau de la nuque puis plus rien. Je me suis réveillée je ne sais pas combien de temps plus tard, dans une cave, loin de chez moi, loin de tout. Je crois que j’étais en enfer en fait. » Non ce n’était pas l’enfer, c’était bien pire que ça. Cet homme, ce fou, il l’avait enfermé dans cette cave pendant plus de dix ans. Il l’avait isolé du monde, l’avait torturé, violenté, il avait abusé d’elle alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente innocente, perdue et terrorisée. Il l’avait affaibli et avait fait d’elle une moins que rien, la réduisant au néant. Au départ, elle s’était débattue mais elle avait fini par se laisser faire, abandonner de peur des représailles. Plus elle tentait de résister, plus il devenait violent et plus elle tentait de s’accrocher à sa vie d’avant, plus le nombre de cicatrices augmentait. Et puis il a commencé à l’affamer, à la droguer, la rendant totalement dépendante de lui. Il était devenu son obsession, elle survivait juste pour le revoir lui, pour avoir sa dose. Elle était devenue une vraie junkie, contre son gré et c’était sa faute. Au fil du temps, il avait commencé à lui faire un minimum confiance, il l’a frappait un peu moins et lui donnait accès à la maison et plus seulement à la cave. Elle l’accompagnait faire les courses ou faire du jardinage. C’était comme si du statut de jouet, elle était passée au statut d’animal de compagnie. Il l’avait forcé à faire des choses horribles, des choses immondes et pourtant elle avait eut peur de partir, se rendant compte qu’elle n’avait plus que lui désormais. Et puis il y a deux ans elle avait eu le courage de s’enfuir, elle avait couru sur des dizaines et des dizaines de kilomètres sans s’arrêter, la peur au ventre. Elle était à bout de force mais pourtant elle avait continué de courir jusqu’à manquer de se faire renverser par une voiture et c’était comme si elle venait de quitter l’enfer. La psychologue finit par interrompre le fil de ses pensées. « Et après, que s'est-il passé ? » Eleonora commença à se bercer d’avant en arrière, en larmes. « Il m’a sauvé vous savez. Il m’a pris sous son aile, il m’a accueilli chez lui, s’est occupé de moi. Il m’a appris tout ce qu’il savait et m’a donné un travail pour que j’ai un semblant de vie, comme si toutes ces années je n’avais pas été une moins que rien, comme si je méritais d’avoir une vie moi aussi ! Il me faisait peur mais s’occupait si bien de moi, il calmait mes tremblements les nuits où j’étais en manque. Cet homme m’a sauvé la vie, il.. Je ne suis jamais tombée amoureuse, je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire mais je crois que.. peut-être qu’avec lui. Il me trouble, me fait me sentir différente, belle.. » Ses sanglots se transformèrent en un rire nerveux puis elle se remit à pleurer. Comme toujours, elle avait refusé de parler de ce qui lui était arrivé. Elle se leva et se confondit en excuses. « Je suis désolée, je ne peux pas rester, je dois m’en aller. » Elle partit alors en courant et pris la direction de son appartement dans lequel elle s’enferma à double tour.