C'est son plus grand secret. Et sûrement le seul sujet tabou entre lui et sa sœur. Ils n'en parlent jamais. Pas un mot, pas une allusion. Et lorsqu'elle le croise sortant de la salle de bain, torse nu, elle ne fait pas une remarque sur cette nouvelle marque qui zèbre son flanc, malgré ses yeux qui s'attardent sur celle-ci. Son regard lui brûle la peau, et Skylar se dépêche d'entrer dans sa chambre, évitant tout contact visuel avec elle. Il sait très bien la manière dont elle le regarderait, de ses grands yeux bleus emplis de cette tristesse, de cette culpabilité dont il ne veut pas. Depuis toujours Sky a toujours tout fait pour que Sydney soit épargnée par les coups de leur père. Et si au début elle n'en savait rien, elle a vite découvert le pot aux roses. Après tout elle et sa jumelle, sa moitié, son tout. Et elle souffre quand lui souffre. « Sky, ouvre la porte s'il te plaît. » Elle toque doucement à la porte, et sa voix sort telle une douce mélodie, qui saurait faire fondre Skylar en toutes circonstances. Elle ne bouge pas, malgré les secondes qui s'écoulent, et le silence qui se fait de plus en plus pesant derrière cette porte fermée. Appuyée sur le bois à la peinture écaillée, elle attend patiemment, ne sachant que trop bien qu'il ne va pas mettre long avant de finalement lui ouvrir. « Entre. » Il a enfilé un t-shirt noir lorsqu'il ouvre la porte, et se contente d'un simple mot. C'est elle qui referme derrière elle alors qu'il est déjà assis sur son lit. Elle ne lui servira pas un discours pour le consoler, elle ne lui dira pas un mot, se contentant de le serrer dans ses bras. Une étreinte que Skylar accepte avec un sourire meurtri, mais qui lui réchauffe le cœur. Il la protègera quoi que cela lui en coûte, c'est la promesse qu'il s'est faite depuis le premier coup qu'il a reçu de son paternel. Elle est son monde, sa moitié la plus précieuse, alors rien ne doit jamais lui arriver !


Il sort à peine du bureau du principal, avec toujours ce même air de type blasé collé sur sa face. Il croise Sydney, qui l'interroge du regard, de toute manière entre eux, pas besoin de mots pour qu'ils se comprennent. « Une semaine. » Elle secoue la tête et soupire pour seule réponse, tandis que, lui, ça semble lui passer à dix kilomètres au-dessus de la tête. Et même si elle n'approuve pas du tout le comportement de son jumeau, Sydney finit par lui prendre le bras et appuyé sa tête sur son bras, comme réconfort. Et c'est à ce moment-là, que le reste de la bande les rejoint. Ce groupe d'amis qui a partagé toute sa vie, ou presque. Il sent ses poils se hérisser quand il aperçoit la chevelure blond délavé de cette Elizabeth, mais étrangement cette fois ce n'est pas aussi virulent qu'habituellement.. Mais au lieu de se demander pourquoi ce changement de son aversion pour cette nouvelle arrivante, il préfère se concentrer sur les autres. Alors que Noah lui pose la question fatidique, qui doit sûrement leur brûler les lèvres à tous. « Alors, le verdict ? » Sydney se détache de son frère, alors que sa petite amie vient prendre place à ses cotés. Il passe un bras protecteur autour de son épaule avant de répondre nonchalamment. « Suspendu pour une petite semaine. » Et il a ce sourire de petit con arrogant, que sa sœur ne supporte pas. Comme s'il ne réalisait pas qu'il a frôlé l'expulsion définitive du lycée avec cette énième bagarre. Bon ok, cette fois, il l'a évitée; merci à Elizabeth qui lui a sauvé la mise en l'empêchant de fracasser la gueule de ce petit con de Matthews. Et pour ça, au fond, très au fond, il l'en remercie. Mais bien sûr, jamais, ô grand jamais, il ne le lui dira à haute voix ! Préférant largement jouer à celui qui se fout de tout, comme toujours. Parce que Skylar est comme ça. Un ado à problèmes comme dirait la psychologue de l'école, sans comprendre ce qui se cache derrière cette façade d'ado rebelle que rien ne semble atteindre, si ce n'est les provocations physiques... Si seulement elle savait, elle, ou n'importe qui d'autre.


Il n'est pas rentré depuis dix minutes qu'il entend déjà les pas furibonds de son père dans le couloir, qui se rapprochent bien trop rapidement. Et son estomac se tord, comme chaque fois, dans l'expectation de ce qui l'attend. Quelle excuse va-t-il se trouver aujourd'hui ? Skylar au fond s'en fout désormais. Lassé de cette situation il a fini par l'accepter, comme un bon petit soldat incapable de quoi que ce soit face à son géniteur. Malgré cette colère qui l'habite constamment, c'est comme si face à cet homme elle disparaissait instantanément. « C'est quoi ce bordel ?! La porte s'ouvre à la volée, la silhouette imposante de l'homme pénétrant dans la pièce sans attendre une quelconque invitation. Ta mère vient de me dire que tu t'étais fait tatouer ?! Il se tient face à son fils, qui se recroqueville sans même s'en rendre compte. Comme si se faire plus petit suffirait à éviter les coups, qu'il sait pourtant bien trop proches. C'est cette pute de négresse hein ?! » Il hurle, les mots s'écrasant sur Sky pire qu'une ceinture fouettant sa peau. Et qu'il l'insulte, le brun en a l'habitude, qu'il insulte sa mère, sa sœur, ça aussi. C'est une routine, à laquelle Skylar a appris à se faire, mais qu'il en vienne à insulter Maggie ! Ça bouillonne en lui, il le sent. Ça monte peu à peu, sa respiration se faisant un peu plus rapide, ses mains se mettant à trembler. Et lorsqu'il sent le premier coup trouver sa place au niveau de ses côtes, Sky ne se contente pas d'encaisser cette fois. Non. Il se redresse, malgré le souffle coupé, malgré la douleur lancinante. Et il assiste presque à la scène tandis que c'est son poing qui vient s'écraser sur la joue de son paternel. Toute la rage contenue durant toutes ces années, qui ressort à cet instant précis. Les autres coups, il ne s'en rend même pas compte. Il ne réalise ce qu'il a fait, qu'au moment où son père est au sol, lui penché au-dessus, le poing couvert de son sang. « Connard ! Tu me toucheras plus jamais ! Il lui crache au visage, sortant toute cette haine accumulée contre lui. Ces envies de vengeance réfrénée par peur des représailles, peur que les gens sachent. Mais ça, c'est trop tard. A peine deux semaines plus tôt, tout le lycée a été mis au courant que Skylar était un gamin battu par son père. Sans qu'il ne sache de qui ça venait... Et t'avises pas d'essayer de te venger sur Sydney ! » Rajoute-t-il à peine relevé, ne sachant que trop bien qu'il en serait capable. Surtout après sa grossesse, sûrement la seule erreur de sa sœur aux yeux de leur père.


Depuis combien de temps est-ce que ça a commencé à dégénérer entre eux ? Sky a beau se poser la question, la retourner dans tous les sens dans sa tête, il arrive pas à trouver de réponse. Peut être parce qu'au fond il n'y en a pas. Que tout ça, ça s'est fait au fil du temps. Que des disputes occasionnelles d'adolescents, ils en sont venus à des engueulades d'adultes, de plus en plus violentes. Et désormais les objets qui volent et se fracassent sur les murs, sur le sol, ne sont plus si anodins que ça. Et ne parlons pas des coups qu'ils en viennent à s'échanger parfois. Un comportement qui leur fait peur, mais qui est devenu pourtant comme une vieille habitude entre eux, dont personne n'est au courant. Pourtant, il y a toujours cette passion, pareille au premier jour, malgré les années qui se sont écoulées. Ils s'aiment, et ça personne ne pourra jamais dire le contraire. Maggie a tout subi, ses colères, ses insultes, ses coups bas. Jusqu'à lui rendre coup pour coup, sans retenue aucune. « Me parle plus comme ça ! » Elle lui balance ça, encore haletante, son corps nu à peine recouvert par le drap blanc de leur lit. Comme si c'était la première fois qu'elle le lui disait. Comme si ça allait changer quelque chose. Skylar fait des promesses silencieuses dans le vent, qu'il scelle d'un baiser sur son front, mais qu'il brisera sans ménagement pour un rien. C'est une vieille rengaine qu'ils connaissent par cœur, qu'ils se reprochent continuellement, pour mieux se pardonner ensuite. Un jour ensemble, le lendemain à se détester, pour mieux se retrouver et s'aimer de cette passion dévorante, qui finira sûrement par les tuer. Il caresse sa joue rougie par une gifle lancée sans ménagement, tandis qu'elle laisse ses doigts parcourir la trace bleue sur sa poitrine. Ils n'en parlent jamais, se contentant de contempler leurs blessures, les regrettant sûrement. « Je t'aime. » Et c'est vrai. Et c'est peut être là leur plus gros problème.