Bercée par les cordes qu'elle grattait avec douceur, elle souriait en observant sa fille sombrer doucement dans les bras de Morphée. Elle jouait Black Eyed Dog du talentueux Nick Drake, le regard chocolat apaisé par la vision reposante de ce petit ange aux yeux fermés. Sur l'instant, elle envia même la tranquillité de sa fille, ne sachant pas où jeter l'ancre de la délivrance par moment. Des nuits hantées par le souvenir d'un homme qu'elle n'arrivait pas oublier. Elle aimerait parfois revenir à l'époque du lycée où l'amour avait fleuri sous le soleil d'été, bras dessus, bras dessous. Elle quitta la chambre de sa fille pour rejoindre son salon où l'attendait un bon verre de chardonnay. Vautrée sur le canapé, elle ne noyait dans l'alcool boisé tout en feuilletant les pages d'un album photo oublié. Un livre refermant tellement d'histoires à raconter, de la naissance de sa petite Evie à sa rencontre avec James. Des doigts qui effleuraient le papier glacé avec nostalgie, le regard figé sur les traits du Bolton. Le trentaine fraîchement dépassée, il était peut-être venu le moment de tirer les conclusions. Une profession qui l'épanouissait, une famille enfin libérée du tyran qui avait oppressé sa mère et ses frères pendant son enfance. Un père qu'elle avait enterré en même temps que sa rancune. Aujourd'hui elle était seule sur ce canapé, une vie sentimentale compliquée dont elle souffrait en silence, préférant se consacrer à l'éducation de sa fille. Elle trempa ses lippes dans le vin, tournant une page pour sourire de nouveau avec nostalgie sur le portrait de James et elle au bal du lycée. Où était donc passé cette fille ? Ce sourire confiant, ce regard pétillant et l'amour qui transpirait de ce cliché ? Emportés par un temps sadique qui s'évertuait à tout bousiller. Son couple avait plus au moins tenu lorsque James était à l'armée, se souvenant des nuits à angoisser tandis que l'homme qu'elle aimait se trouvait sous les balles ennemies. Aujourd'hui la situation n'était pas vraiment différente, toujours dans l'attente de le retrouver ou de le perdre à jamais. Elle referma alors l'album de sa vie qui ne faisait pourtant que commencer, laissant son verre vide sur la table pour sombrer seule sur ce canapé. Aucuns bras musclés pour la rassurer ou lui faire oublier ses problèmes dans une étreinte enflammée.

Le soleil faisait semblant de se lever tandis qu'elle luttait contre la morsure cuisante d'une lumière matinale trop agressive. Evie avait fait sa nuit, laissant à cette jeune maman le luxe de dormir un peu plus. Aujourd'hui James venait chercher la petite pour le week-end et comme toujours elle était stressée de le retrouver. Le miroir lui renvoyait une image peu flatteuse, observant ses cheveux emmêlés et un regard cerné. Un soupir tandis qu'elle entrait dans la douche pour s'abandonner sous le jet brûlant. L'avantage d'être institutrice, c'était bien évidemment les nombreuses vacances scolaires et les horaires flexibles. Elle pouvait offrir son temps à sa petite princesse et voir sa famille très souvent. La serviette enroulée autour de son corps mouillé, trois coups à la porte obligèrent la protagoniste à courir dans l'appartement pour aller ouvrir à moitié nue. Sa mère détailla alors la tenue de sa fille, un sourire moqueur sur les lèvres que la brunette ignora. « Maman ? Tu as deux heures d'avance. » Elle roula des yeux tandis que Madame Nichols prenait place dans le salon pour venir se pencher au dessus de sa petite fille adorée. Hayley retourna dans la salle de bain pour finir de se préparer. Une petite robe courte blanche, des sandales à talons compensés et les cheveux lissés. « Tu devrais te maquiller un peu ma chérie. » L'enseignante poussa alors un soupir tandis qu'elle se posait sur le canapé en observant l'horloge murale. « Comment ça se passe avec James ? » Sa mère était bien évidemment au courant de la situation, peinée de voir sa fille aussi perdue. Elle avait été mariée avec un homme violent qui aujourd'hui était décédé. Elle ne souhaitait pas voir ses enfants souffrir en amour comme elle l'avait été durant toutes ces années. « Je ne sais pas quoi te dire. Des hauts, mais surtout des bas. » Blasée, la brune offrit alors un sourire à sa fille tandis que sa génitrice venait trifouiller les cheveux de l'institutrice. « Pourquoi tu vas pas chez le coiffeur ? Suis certaine qu'il aimerait peut-être te voir un peu plus apprêtée ! » Hayley tapa alors sur la main de sa mère, agacée. « Pourquoi le problème viendrait forcément de moi ? Tu ferais mieux d'aller m'attendre au café, il ne va pas tarder. » Miss Nichols embrassa alors la petite Evie et offrit une caresse compatissante sur la joue de sa fille aînée. Lorsque la porte claqua, elle se leva pour retrouver la salle de bain et regarder de nouveau son reflet. Comment pouvait-il continuer à l'aimer tandis qu'elle ne s'aimait pas elle-même ? Un coup de brillant sur les lèvres n'arrangerait pas la situation, elle le savait. Sa mère voulait surtout lui faire comprendre qu'elle devait faire des efforts si elle avait envie de le garder. Mais par où commencer ?