« J’veux pas que tu partes ! » Les larmes me montent aux yeux alors que j’enlace une dernière fois mon grand frère. On n’a jamais été séparés, tous les trois, et l’idée de ne plus le côtoyer tous les jours me donne envie de fondre en larmes. Je me suis toujours accroché à lui, il est mon pilier, et je suis en train de le perdre. Je ne suis même pas sûr d’avoir compris la raison pour laquelle il s’en va. Une histoire avec sa copine… Il devrait pouvoir la régler. Il est assez grand pour ça, non ? En me dégageant de l’étreinte d’Aidan, je sèche rapidement mes larmes du revers de ma main et passe un bras autour des épaules de Noah. Il n’est peut-être pas beaucoup plus jeune que moi, mais je reste son grand frère et cette fois, ce sera mon tour de le protéger. Je ne sais pas trop comment, pour le moment… Tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas le laisser tomber. Il a besoin de moi, mais avant tout, j’ai besoin de lui.


Un hennissement me réveille et non sans mal, j’ouvre les yeux, peu motivé à partir en cours. Je me lève, me poste à la fenêtre et un sourire vient m’étirer les lèvres. Mon père s’affaire dans les écuries, alors que ma mère s’occupe de seller un de nos chevaux pour son premier cours d’équitation de la journée. Avoir des parents qui exercent un métier dans le monde du cheval, ce n’est pas étonnant à Cody. Et pourtant, j’aurais pu tomber tellement plus mal. Oui, mes parents sont stricts. Oui, j’ai fini par comprendre qu’ils y étaient pour quelque chose dans le départ de mon frère. Mais ils nous ont aussi offert la meilleure vie possible, et ça, ça n’a pas de prix. Pieds nus, je me dépêche d’aller toquer à la porte de la chambre de Noah. « Debout, gros tas ! » Trois ans depuis le départ d’Aidan, trois ans que j’ai repris son rôle – que je ne regrette pas le moins du monde. Ce n’est pas facile tous les jours d’être le grand frère responsable, mais le lien fusionnel qui nous unit, Noah et moi, je ne l’échangerais pour rien au monde. Je dévale les escaliers, puis agrippe le verre de jus d’orange qui m’attend sur la table de la cuisine et le finis d’une traite. Mon regard se pose alors sur le fond de café dans la tasse abandonnée de mon père, que j’avale en sachant très bien que je ne suis pas censé le faire.


« Des balades pour touristes ! » Fièrement, je guette la réaction de mon petit frère, qui ne semble pas trop savoir quoi dire sur le moment. Je sais qu’il ne dira pas non à mon idée, mais il lui faut probablement un peu de temps pour réfléchir. « Chevaux, feu de camp, chansons à la guitare… Tu sais, le truc bien country pour lequel les gens payeront cher. » Le regard brillant, je remarque le sourire grandissant sur le visage de Noah. « On empruntera les chevaux des parents, et je comptais t’emmener en ville demain matin pour aller en choisir d’autres. T’es partant ? » Je suis terriblement fier de mon idée. Ça fait des mois que j’y pense, que je tourne et retourne tout ça dans ma tête. Mais c’est l’idée parfaite, c’est indéniable ! Je me vois mal bosser pour mes parents toute ma vie, et Noah sera le partenaire parfait pour construire ma petite société. Enfin, notre petite société. Ce dernier s’avance vers moi et me tend la main, que je serre chaleureusement. « T’es fou, Caleb. » - « Je sais ! »


Une cigarette entre les lèvres, j’observe le corps nu de la barmaid, qui s’éclipse dans la pièce d’à côté pour se glisser sous l’eau chaude de la douche. Je bascule ma tête en arrière, tirant sur ma clope, avant de recracher lentement la fumée qui en sort. Des matins comme celui-là, je voudrais bien en vivre tous les jours. Un soupir m’échappe en pensant à la longue journée qui m’attend. Faire les boxes, seller les chevaux, répondre aux coups de fil, donner un coup de main pour déplacer les vaches… Je préfèrerais emmener cette jolie demoiselle en montagne pour ne plus jamais en revenir, mais mon devoir m’attend. Noah m’attend, surtout. Je ferme les yeux et m’enfonce dans les draps l’espace de quelques minutes, ma cigarette calée entre mes doigts. Une fois celle-ci terminée, je l’écrase dans le cendrier à côté du lit et me lève rapidement pour me rhabiller et filer sans un au revoir.


« Liza n’y est pour rien dans votre conflit, Papa. C’est une chouette fille. » Je pose mon regard clair sur Noah, puis sur mon père, tendu. Parler des Warrens lors d’un repas de famille est la chose à ne pas faire, mais mon père a voulu mettre les points sur les i et je savais que Noah n’y échapperait pas. Pour ma part, je n’apprécie pas les Warrens, même si Elizabeth est loin d’être la pire. Je sais que Noah éprouve des sentiments envers elle, et je serais un monstre de ne pas les accepter. Pourtant, mon regard reste fermé, pour éviter de me mettre mon père à dos. C’est lâche, très lâche, je sais. Un jour je prendrai probablement la défense de Noah, mais pour l’heure je n’en ai ni le courage, ni l’envie. « Noah, tu m’aides à faire la vaisselle ? » Mon regard se fait insistant, et mon frère hoche doucement la tête. Une fois dans la cuisine, je ferme la porte et allume le robinet pour camoufler le son de nos voix. « T’en fais pas, il l’acceptera un jour. Comment va Liza ? »


« Ça fait des années que j’ai pas vu mon grand frère. » Je tourne vivement la tête vers le petit garçon assis sur un tronc d’arbre à mes côtés, un petit cowboy du Texas venu découvrir le Wyoming avec ses parents. Mon regard se fait plus triste, parce que la situation de ce petit gars ressemble tellement à la mienne que ça en devient déstabilisant. « Ah bon ? Comment ça se fait ? » Le petit baisse les yeux, la mine triste. « Il est parti avec sa copine et m’a abandonné. » Je retiens un soupir, réfléchis à des paroles réconfortantes, mais n’en trouve pas une seule. A la place, je passe mon bras autour des frêles épaules du garçon et l’attire contre moi, me concentrant sur la voix grave de Noah et sur le son de sa guitare.